C’était le vendredi. Nous avions pris quelques bières chez un ami habitant à Banff et il nous faisait un littéral topo des endroits à visiter pour profiter des mélèzes tout en ne se faisant pas engloutir par les nuées de touristes. Nous prenions ainsi la route tôt le lendemain matin pour le bureau de Parcs Canada, à Lac Louise. Nous voulions réserver quelques nuits en arrière-pays, dans la région de Skoki. Après avoir jasé plusieurs minutes avec une personne à l’accueil, nous changions de plans pour plutôt aller effectuer le sentier du Lac Floe, dans le parc national de Kootenay, en Colombie-Britannique. C’est qu’il avait énormément neigé dans les montagnes et la région de Skoki avait reçu près de 20 centimètres de neige. Le parc national de Kootenay en avait en revanche eu qu’une dizaine. Pour les lecteurs d’entres vous qui habitez le Canada, vous savez très bien que marcher dans 10 centimètres de neige est un vrai jeu d’enfant, mais que 20 devient plus compliqué.
Marcher à travers les vestiges d’un feu de forêt
Il était tout près de 11h et nous étions dans le stationnement en train de préparer nos sacs-à-dos. Le ciel était dégagé et la température avoisinait les 15°C : tout était parfait pour marcher en nature. Nous n’étions évidemment pas seuls à se préparer pour ce secteur du parc. Il y avait notamment deux groupes de chinois qui étaient sur le point de partir, ainsi qu’un couple arrivé à la hâte et qui s’était stationné juste à côté de nous. Nous prenions ainsi le sentier environ 30 minutes après notre arrivée.
Le sentier menant au lac Floe est bien balisé, facile à marcher et direct dans son approche. Le dénivelé est constant durant les premiers kilomètres pour s’accentuer drastiquement – ou péniblement, à vous de voir – juste avant d’atteindre le camping. Il évolue à travers une forêt qui a été ravagée par le feu en 2003 de sorte qu’il y a quelque chose de presque lugubre de randonner à travers les arbres calcinés. Si vous êtes de ceux qui aimez marcher en montagne durant l’été, sachez que cet endroit est recouvert d’épilobes durant le début du mois d’août !
Notre chemin s’est fait sans embuche et très rapidement. Alors que nous atteignions finalement le plateau où se situait le camping, l’immense Rockwall se révélait toujours plus. Il surplombait le lac Floe, autour duquel les mélèzes avaient commencé à changer de couleur. Nos pas étaient constants depuis le début, mais le bruit sourd de la terre avait laissé place aux craquements de le neige. Après une quinzaine de minutes à chercher un emplacement pour camper, nous trouvions finalement une plateforme qu’il fallut déneiger pour nous installer. L’air était frais, mais sec, et on se croyait davantage en novembre qu’en septembre.
Choc culturel
Nous terminions de monter notre tente quand les groupes de chinois firent leur apparition. Désorientés par toute la neige, il fallut leur donner quelques indications afin qu’ils trouvent suffisamment d’emplacements pour camper. Nous allions ensuite profiter du restant de la journée pour explorer les environs et profiter de l’incroyable panorama que l’endroit a à nous offrir.
Le soir venu, nous nous sommes ramassés à l’air commune afin de cuisiner et de manger. Comme les places étaient limitées, nous nous sommes joints à deux chinois qui cuisinaient un incroyable riz. Après quelques échanges dans un anglais limité, nous avons compris qu’ils étaient en randonnée en tour guidé afin de faire la boucle du Rockwall, totalisant 55 kilomètres. Nous sommes restés quelques temps à manger avec eux, nous quittant juste au moment où nous préparions nos chocolats chauds – je ne sais pas si Julie vous a déjà parlé de notre obsession pour les chocolats chauds en randonnée, mais nous sommes de véritables adeptes. Ce fût au tour du couple que nous avions précédemment croisé dans le parking de se joindre à nous. Après une petite jasette, nous savions qu’ils étaient des maritimes, travaillaient en Alberta, et qu’ils étaient ici en congé. Des amis devaient les rejoindre bientôt.
La nuit tombait rapidement et nous avions une petite idée des personnes qui nous entourait. Ils était temps d’aller préparer nos lits et de se coucher.
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Il était 23h, des hurlements se faisaient entendre. Rien de dramatique ou d’urgent. C’était seulement le couple et leurs amis qui avaient bu, beaucoup bu, et qui se dirigeaient doucement, mais sûrement, vers leurs tentes placées juste à côté de la nôtre et de celles des chinois. Rires, cris, chants, ils semblaient penser qu’ils étaient seuls au monde, n’ayant pas de respect pour les personnes qui les entouraient. On pouvait entendre les soupirs et les chuchotements des chinois. Je ne comprends pas le mandarin, mais une chose était certaine, ils ne parlaient certainement pas de la belle température que nous avions.
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Les lueurs rosées du matin.
Le lendemain matin, après avoir pris quelques photographies, je me retrouvais encore une fois avec les deux mêmes chinois autour de la table. Un des guides s’était également joint à nous à un certain moment donné afin de bien traduire certains de nos propos. L’un des chinois était abasourdi par mes vêtements, allant même jusqu’à évaluer l’épaisseur de mon manteau en le touchant et statuant que ce que j’avais n’était certainement pas assez chaud pour la météo actuelle. Il a fallu lui expliquer qu’au Canada, nous étions habitué aux températures froides et qu’un simple -5°C était pour nous une température plutôt douce, surtout en hiver. J’ai eu droit à quelques leçons de mandarin et un des chinois, qui était vraisemblablement instruit, nous a même fait état de ses connaissances sur le Québec en nous nommant exactement les dates de l’expo universelle de Montréal, celles des référendums de la souveraineté et allant même jusqu’à nous parler de Bombardier. Il était bien au fait que nous parlions français et il en savait plus sur le pays que plusieurs autres canadiens et états-uniens rencontrés. Ça, c’est toutefois une autre histoire.
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Au moment où nous quittions le lac Floe, nous avons croisé le couple qui venait de se réveiller. Une forte odeur d’alcool était facilement perceptible et mon regard devait leur en dire long sur ce que je pensais de leur conduite. Alors que nous descendions vers l’automobile, j’en suis venu à me dire j’avais eu un choc culturel, non pas avec les chinois avec qui on avait échangé, ri, et mangé, mais avec le manque de savoir-vivre de ces nord-américains qui n’avaient eu aucun respect pour ceux qui les entouraient. C’est que, généralement, le respect d’autrui est une règle officieuse que les randonneurs appliquent rigoureusement. C’était la première fois que je rencontrais ce genre de comportement en arrière-pays et je souhaite que ce soit la dernière.
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